Dewoitine D.520 de l'aviation de Vichy lors de leur transfert vers la Syrie à la fin du printemps 1941. La cocarde cerclée de blanc et la bande blanche horizontale, caractéristiques de cette période sont particulièrement visibles. A noter également les queues jaunes témoignant de l'application des conventions d'armistice. Photo © SHAA réf B91.1225
La cocarde nous fait toute une histoire
Tandis que toute compagnie aérienne s’affiche et doit se démarquer de la concurrence en montrant ses titres et logos, les aviations militaires vouées au combat se veulent discrètes, comme le soldat camouflé sur le champ de bataille. Pourtant, à l’inverse de ce fantassin, l’avion de combat français porte depuis ses origines des marques nationales voyantes en période de paix comme de guerre. Histoire de la cocarde de l’armée de l’air et réflexions sur ce paradoxe. Les marquages de l’aéronautique maritime puis navale feront l’objet d’une étude ultérieure.
Des origines lointaines
Les chercheurs institutionnels interrogés sur le sujet ramènent son origine au 17ème siècle. Le Roi Soleil, Louis XIV, disposait d’un régiment de soldats croates distingués par une cocarde, faite d’une gerbe de plumes de coq portée sur leur coiffe. Par ailleurs, en étymologie, on retrouve dans le terme de cocarde le mot coq. Dès lors, les armées françaises se distingueront de plus en plus par cette cocarde, dont l’emploi est généralisé dès la guerre de succession d’Espagne au début du 18ème siècle.
Une symbolique militaire, patriotique et citoyenne
D’usage réservé aux militaires, étendu à tous les hommes à partir de 1767 dans la limite d’une cocarde blanche, ce signe distinctif sera adopté pendant la Révolution française par la Garde nationale. Désormais aux trois couleurs, elle est formée d’un ruban blanc liseré de bleu et de rouge. Louis XVI l’impose alors à toutes les unités, en remplacement des nombreuses cocardes régimentaires, le 22 mai 1790. Marque unitaire des armées françaises, la cocarde, respectivement bleue, rouge et blanche, de l’extérieur vers le centre, disparaît en même temps que le Premier Empire. Louis Philippe la supprime pendant la Restauration, lui reconnaissant ainsi toute sa valeur politique. Elle renaît définitivement en 1830, avec les couleurs dans l’ordre bleu, blanc et rouge. La Troisième République la consacre comme emblème national et la dispose sur le bonnet phrygien de la République en 1871.
La cocarde d’aviation
À la suite de la naissance de l’aviation militaire, le 10 avril 1910 (décret de création de la direction du matériel aéronautique), l’utilisation de la cocarde sous les ailes des avions est autorisée à partir du 21 novembre 1911, sans pour cela être réglementée. Les premières photographies connues d’avions porteurs de cocardes représentent des Blériot XI militaires. Il n’est d’ailleurs pas certain que les premiers marquages nationaux sur ces avions aient été des cocardes françaises. Dès 1911, des aéronefs destinés au Chili sont vus décorés d’une étoile sous les ailes et l’antériorité de l’armée française pour l’adoption d’un marquage national sur les avions militaires n’est pas clairement démontrée. Officiellement, cependant, c’est bien les escadrilles françaises, fraîchement constituées, qui vont recevoir en premier l’ordre de peindre des cocardes sous les intrados de leurs avions. Dans l’instruction sur l’immatriculation des avions militaires, décision n°4.710 du 26 juillet 1912 signée par le colonel Hischauer, inspecteur permanent de l’aéronautique militaire, la réglementation concernant l’application des cocardes est clairement définie. Les avions seront porteurs de deux cocardes d’un mètre de diamètre (voir ci-contre : dimension des différentes zones colorées de la cocarde 1912 - document SHAA) placées sous les demi ailes droite et gauche du plan inférieur dans le cas d’un biplan ou du plan principal dans le cas d’un monoplan. Cette instruction fixe en outre la décoration tricolore du gouvernail de dérive, les désignations d’aéronefs et les marquages techniques.
Identifiable depuis le sol
Les taille et position de la cocarde, selon les textes de 1912, permettent de comprendre les raisons de l’utilisation de la cocarde. Avec de tels signes distinctifs, c’est bien évidemment du sol qu’on reconnaîtra rapidement l’appartenance de l’avion à l’armée française ; le but avoué est d’éviter aux artilleurs et autres tireurs terrestres de chercher à atteindre de leurs projectiles cet aéronef. Au vu des configurations de missions de l’époque, décoller puis monter le plus haut possible jusqu’à approcher les lignes ennemies pour se renseigner sur leurs positions, leur importance et leurs déplacements et ramener à la base ces précieuses informations, il est clair que c’est près du sol que l’avion est le plus vulnérable et qu’on ne doit pas alors le confondre avec un autre pour assurer sa survie. Le camouflage de l’aéronef aux yeux de l’ennemi, est, aux débuts de l’aviation, un concept inexistant pour les états-majors. L’arrivée de la Première Guerre mondiale et l’avènement du combat aérien vont radicalement changer les choses. l'affiche ci-contre, conservée au SHAA témoigne de l'intérêt et de l'utilisation des cocardes dans le conflit.
Une première évolution
Le développement de la production aéronautique est très important dès le début de la guerre. L’avion n’est plus seul dans le ciel. Sa tâche n’est plus seulement le renseignement mais aussi le bombardement, voire la chasse dès la fin de 1915. La cocarde française apparaît aussi sur les ailes pour signaler la nationalité de l’avion à d’autres qui pourraient le survoler. Tandis que les Allemands se plient aux conventions de Genève, imposant une cocarde de fuselage, les Alliés se contentent de l’utilisation des cocardes d’ailes, couplées certes à l’utilisation du gouvernail de dérive comme support des couleurs nationales. Les dimensions évoluent aussi et sont généralement assujetties à la surface offerte par le demi-plan. Ainsi sur les « Bébé Nieuport », de configuration sesquiplane, dont le plan inférieur n’excédait pas 75 cm de largeur, il n’était plus question de respecter les textes de 1912. À chaque type d’appareil est désormais affecté un plan de décoration précis, suivant une directive de standardisation pour le positionnement des cocardes, dont le diamètre équivaut généralement aux 80% de la corde de l’aile au niveau du marquage. Ce système prévaut jusqu’à l’approche de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la fièvre s’empare des états-majors, tardivement, aux bruits de bottes toujours plus pesants.
Blériot XI militaire porteur de la cocarde en application des textes de 1912, vu avant le déclenchement de la guerre 1914-1918. Photo © SHAA Réf B87.3682
Une tentative de camouflage
La circulaire n°1422-RS-MAM7 du 6 décembre 1938 prend en compte la nécessité de discrétion pour les appareils militaires, particulièrement lorsqu’ils sont au sol et qu’ils doivent être cachés aux reconnaissances ennemies. La règle admise est que la cocarde ne doit plus être visible au-delà de 1000 mètres. Sa dimension est fixée à 30 cm de diamètre pour l’extrados, tandis que l’intrados reste paré de marques de nationalité dans les dimensions précédemment adoptées. Les opérations de guerre montrent vite les inconvénients de cette cocarde discrète, notamment sur les représentants de la famille Potez 63, dont la configuration proche de celle du Messerschmitt Bf 110 provoquera de dramatiques méprises. Le Général Vuillemin, commandant en chef des forces aériennes impose de nouvelles dimensions (1,20 m de diamètre maximum à l’extrados), le 19 novembre 1939. Cette première solution ne suffisant pas, le chef de la mission française auprès de l’Advanced Air Striking Force prône, dès le 27 décembre 1939 (lettre 367/S), l’utilisation d’une cocarde de flanc à l’instar des avions britanniques. Ainsi le 13 janvier 1940, la cocarde de flanc ou cocarde de fuselage est instaurée enfin, en accord avec les conventions de Genève et pour une plus grande sécurité des équipages.
Le cas particulier des Potez 630, 631, 633, 637 et 63.11
Les aménagements de décembre 1939 et janvier 1940 ne suffisent pas à protéger les Potez bimoteurs, principalement les chasseurs de nuit évoluant en patrouilles, des attaques fratricides de la chasse alliée. Le nombre de combats accidentels décuple à partir du 10 mai 1940 et le général d’Astier, commandant la zone d’opérations aériennes nord prend la décision de peindre les Potez 631 de chasse de nuit d’une bande blanche de 20 cm de large dans la longueur du fuselage de part et d’autre de la cocarde de fuselage. La cocarde est par ailleurs plus grande et ceinturée d’une bande blanche de 5 cm d’épaisseur, augmentant ainsi son diamètre de 25 cm. Dès le 24 mai 1940, le premier Potez ainsi décoré fait le tour des bases des forces alliées pour permettre aux aviateurs de visualiser ce nouveau marquage. Le compte-rendu du général d’Astier à l’état-major général demande des consignes pour les autres Potez. La réponse vient du général Vuillemin qui ordonne, le 5 juin, de décorer de la sorte tous les Potez 63 de toutes les unités françaises. La bande de fuselage fera 10 cm d’épaisseur ; un compte-rendu d’exécution est demandé pour le 15 juin. Les documents photographiques existants montrent que cet ordre a subi quelques interprétations, particulièrement quand aux longueur ou épaisseur de la bande. Cette décoration particulière fait quand même preuve d’une certaine efficacité et va donner des idées aux responsables de l’élaboration des marquages de l’aviation militaire d’Armistice… quelques jours plus tard.
Ce Potez 631 de chasse de nuit permet d'apprécier la mise en application du marquage d'identification spécifique à ces bimoteurs. Photo © SHAA Réf B79.2182
Vichy, un nouvel état de la cocarde
Dès le 9 juillet 1940, la bande des Potez est généralisée à l’ensemble des aéronefs militaires et, le 24 juin 1941, l’instruction n°418/C-DAT fixe les dimensions des cocardes à 80 cm pour les ailes et 60 cm pour celles de fuselage. La bande de fuselage doit faire 1,50 mètre de part et d’autre de la cocarde de flanc. Ce texte précise en outre d’autres spécificités comme les tristement célèbres bandes jaunes et rouges. Jusqu’au débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, ordres et contrordres se succèdent au sujet des marquages des avions, dans tous les secteurs où opèrent des appareils de Vichy. Ainsi la cocarde de flanc disparaît de nouveau lors de l’application de l’instruction du 13 décembre 1941 ! Après l’invasion de la zone libre par les troupes de l’Axe, seules des unités de défense contre avions ou de guet aérien peuvent être maintenues actives par les forces aériennes françaises de Vichy mais la cocarde tricolore était déjà réapparue grâce à la création des Forces aériennes françaises libres et allait connaître un renouveau en Afrique du Nord sous l’impulsion des Alliés, fournisseurs de « nouveaux » matériels permettant la reprise de la lutte après la nouvelle mobilisation générale du 31 juillet 1943.
Une croix de Lorraine pour cocarde
Les sources les plus probables accordent à l’amiral Muselier la paternité de la Croix de Lorraine comme emblème des Français Libres. Dans son autobiographie, il note « Voici ce que j’écrivais, dans la nuit du 2 au 3 juillet 1940… Les appareils des Forces Aériennes Françaises Libres porteront la cocarde réglementaire et, à côté, un cercle bleu de même taille que la cocarde, orné en son centre de la Croix de Lorraine en rouge. » À l’exception des unités combattant depuis la Grande-Bretagne à l’autonomie réduite et contraintes à un seul insigne national, les groupes FAFL portent en effet la cocarde française assortie d’une croix de Lorraine parfois rouge sur fond blanc, tantôt bleue sur fond blanc, sans qu’il semble possible de justifier le choix de telle ou telle autre couleur. Des exemplaires de Lysander ont une croix de Lorraine dotée d’un liseré, sans fond blanc ombrée non placée sur un disque. Les appareils ont généralement eu sur le fuselage la seule croix de Lorraine, quand ils portaient les deux marquages sur les plans principaux. Cette cocarde particulière aux FAFL a progressivement disparu de la décoration des unités FAFL pour rester, sous forme d’insigne, dans le schéma de décoration général des avions au gré des équipements en nouveau matériel britannique ou américain. La cocarde française est peinte à l’emplacement de la cocarde britannique ou américaine, ses dimensions, proportions ou couleurs sont variables. Le liseré jaune de la « rondelle » britannique est très souvent conservé et va devenir une partie intégrante de la cocarde française pour plusieurs dizaines d’années.
Hawker Hurricane du GC 1 (futur 341 (French) Squadron en 1943) vu dans le désert de Lybie en juin/juillet 1942 porteurs de la croix de Lorraine en lieu et place de la cocarde. Photo © SHAA Réf B 94.4190
Le groupe « Normandie » marque ses avions russes d’une petite cocarde française, placée à l’aplomb du pare-brise. Cette marque ne survivra cependant guère aux rigueurs toutes soviétiques, et, on n’en connaît plus d’exemples à la fin de l’année 1944. Les trois couleurs seront quand même conservées sur les casseroles d’hélice pour de longues années.
Les groupes issus de l’aviation d’Armistice en Afrique du Nord
Les avions livrés à ces unités reçoivent, à un ou deux cafouillages près en novembre 1942 à Casablanca, des cocardes françaises peintes sur les marques originales américaines ou britanniques, produisant des cocardes à oreilles blanches, pour les cocardes (répétition) peintes sur les étoiles américaines ou des cocardes (répétition) tricolores aux proportions britanniques, généralement dans le cas d’unités se battant en Grande-Bretagne. Les premières mesures de standardisation sont édictées peu après la Libération, dès le 27 octobre 1944 dans l’instruction n°60.462/DTI. Entre-temps, toutes les unités françaises sous commandement britannique avaient officiellement reçu l’autorisation d’appliquer les couleurs françaises sur leurs machines, à l’exception du gouvernail de dérive qui restait camouflé, le drapeau tricolore remplaçant le « fin-flash » britannique se trouvant lui, sur l’embase de la dérive.
C-160 Transall vu au début des années 70 et porteur de la cocardes à liseré jaune standard de l'après-guerre. Les dimensions de la cocarde varient en fonction de la taille de l'avion porteur du marquage. Photo © M. Cristescu - Cocardes
L’après-guerre
La note n°154/EMGA du 31 janvier 1945 confirme l’utilisation de cocardes de 60 à 80 cm de diamètre bordées d’un liseré jaune de 3 cm. Cette cocarde devient le standard de l’après-guerre bien que certains appareils soient décorés d’une cocarde de dimensions plus imposantes, comme les Transall dans leur première décoration. Les avions de combat reçoivent des cocardes réduites à 40 cm de diamètre à partir de 1973 et l’arrivée des cocardes autocollantes dès le début des années 80 provoque une réduction du diamètre à 30 cm avec disparition du liseré jaune. Les avions de transport et de liaisons portent pour leur part des cocardes de 60 cm.
Ce Mirage IVP vu à Cazaux (et porteur du missile nucléaire ASMP) en 1996 porte la cocarde standard post 1984 sans liseré jaune. Photo © Cocardes
Vers une cocarde camouflée ?
L’ère de l’électronique rend aujourd’hui secondaire la reconnaissance visuelle des avions de combat. Les appareils sont dotés systématiquement de moyens comme l’IFF (Identification Friend or Foe, ami ou ennemi) et les moyens de détection sont bien plus performants que l’œil humain. On pourrait juger l’importance de la cocarde comme secondaire et nombre des pays de l’OTAN optent progressivement pour une marque de nationalité discrète, en teintes basse visibilité, rendant au camouflage tout son sens original.
Le nouveau Beech 350 Vador de guerre électronique et de recueil de renseignements qui équipe l'escadron Dunkerque. © Armée de l'air et de l'espace - J-L brunet
En France, les hélicoptères de l’armée de l’air et de l’espace, intégralement gris n’en sont plus dotés. Depuis 1984 et l’arrivée du Mirage 2000, une instruction a réduit la dimension de sa cocarde et la suppression du liseré jaune, sans pour autant choisir encore les marques basse visibilité. Dans les faits, tous les appareils de combat ont perdu le liseré jaune qui a été conservé sur les machines de transport et d’entraînement. C’est à l’occasion de l’arrivée de chaque nouvel avion dans l’inventaire de l’armée de l’Air et de l’Espace qu’il adopte à son tour une cocarde sans liseré (Airbus A330-200, Airbus A330 MRTT, drone Reaper, Airbus A 400M, …). Pourtant deux des plus récentes machines arrivées ont aussi retrouvé le liseré : le Pilatus PC-21 et le Beech 350 Vador. Difficile donc de se faire une idée de ce que sera le futur de cette cocarde avec une politique à son sujet qui semble totalement dépourvue de cohérence.
RVB
Annexes
- La cocarde mise en application en 1912. Elle est restée utilisée jusque dans les années 20. Les cocardes portées pendant la Première Guerre mondiale avaient ces proportions.
- La nouvelle cocarde apparue lors de la création de l'armée de l'air en 1933 (décret d’application du 1er avril 1933). Les nouvelles proportions sont de 1/3, 1/3 et 1/3 pour chacune des trois couleurs.
- La cocarde de Vichy avec liseré blanc et bande horizontale (texte de 1940).
- Cocarde RAF avec couleur inversée peinte sur de nombreux avions français sous commandement RAF. Ces cocardes firent leur apparition progressivement à partir de fin 1943. Seule une note RAF accorde aux unités françaises la peinture dans l’ordre français. Aucun texte officiel FAFL.
- Variante portée sous les ailes des avions porteurs de la cocarde 4. A noter que les proportions entre bleu et rouge étaient différents selon que l'avion était un chasseur ou un bombardier (ou transport). Les proportions sont ici celles utilisées pour la chasse.
- Variante portée sur les avions de chasse français ex-RAF après 1945, notamment de nombreux avions d'entraînement à Meknès. Le bleu RAF a été remplacé par le bleu français. Aucun texte officiel.
- Cocarde standard post 1945.
- Cocarde standard post 1984.
À ces différentes cocardes, de nombreuses variantes peuvent être trouvées : cocardes françaises en Afrique du nord (1943-1945) aux proportions françaises avec peintures US, cocardes françaises avec oreilles US, cocardes françaises incomplètement peintes sur cocardes US...
Bibliographie, sources :
Archives du SHAA, De Gaulle contre le Gaullisme (Amiral Muselier), Revue de la France Libre (2000, 60ème anniversaire), Camouflages et Marques n°1 chez Aéro-Éditions, Revue Historique des Armées (1996 n°3), Air Actualités n°544
Remerciements :
Général Mutin †
Enregistrer un commentaire