Piste de Marston en 1941 pour les manœuvres de Caroline (CC)
Quasiment tous les maquettistes d’aviation connaissent les Perforated Steel Planks type M8 (PSP). On en voit très souvent sur les photos de l’aviation alliée pendant la Seconde Guerre mondiale, puis en Corée et même au Vietnam. Certains terrains de l’OTAN, dans les années 50, possédaient aussi encore des Dispersal ou des taxiways réalisés en PSP, comme à Chaumont AFB, en France. Et pourtant… Quand on les interroge sur leur fabrication, leur origine, leurs dimensions, leurs couleurs, on s’aperçoit vite que ces PSP restent mystérieuses pour le commun de notre petit monde de passionnés.
ORIGINE DES PSP
Si les États-Unis d’Amérique avaient une position isolationniste assumée, ils n’en restaient pas moins très informés et suivaient de très près l’ensemble des opérations, tout autant que les stratégies et techniques employées. L’une d’entre-elles était l’utilisation, par les Britanniques et par les Français, de moyens de déployer rapidement des avions sur des terrains d’aviation opérationnels temporaires rapidement préparés. Cette stratégie de dispersion des forces aériennes était indispensable aux Alliés, pour soustraire leurs avions des bombardements ennemis de terrains d’aviation connus et reconnus.
Les Britanniques utilisaient des rouleaux grillagés faits de tiges de fer de gros diamètre et ressemblant beaucoup aux armatures métalliques qu’on utilise aujourd’hui dans la construction de bâtiments pour armer les chapes bétonnées. Ce système avait l’avantage d’être assez rapide à mettre en place mais possédait des inconvénients majeurs comme la taille et la masse de ces rouleaux rendant leur transport et leur mise en œuvre impossible pour des équipes légères non équipées de matériel lourd. De plus, cet équipement perdait toute efficacité dès que les avions dépassaient un certain poids.
Chevrons français découverts récemment (DR source forum absa3945)
Les Français disposaient de plaques composées par un treillis de lamelles épaisses en acier soudées en forme de chevrons, et pesant une cinquantaine de kilogrammes. Pour constituer les pistes, il fallait les boulonner les unes aux autres. Le système français était plus efficace que celui des Anglais mais long à mettre en place. Il supportait des charges et des vitesses plus importantes pour les atterrissages. Son principal inconvénient, au yeux des Américains, est que la réparation était complexe car nécessitait de déposer une grande surface de piste.
Ci-contre : Le journal de la 31st Division relatant les manœuvres de 1941.
L’US Army désirait disposer, elle aussi de pistes d’aviation projetables. Elle émit donc un appel d’offre avec un cahier des charges s’inspirant du système français en demandant toutefois plus de légèreté, plus de simplicité dans la mise en œuvre et plus de robustesse pour supporter des avions du type des bombardiers quadrimoteurs B-17 et B-24 de trente tonnes voire plus puisque les B-29 de soixante tonnes étaient déjà sur les planches à dessin en 1939. Un autre des points primordiaux était la logistique associée, puisque un terrain complet d’aviation devait pouvoir partir des USA par la mer sur une quelconque destination du globe. Et c’est d’ailleurs l’étude et la résolution des problématiques de logistique qui a fait de ce système américain un atout majeur de la conquête, voire de la reconquête des îles pendant la guerre du Pacifique.
CARACTÉRISTIQUES DES PSP
C’est la Carnegie Illinois Steel Company qui décrocha le contrat, grâce au concept développé par l’ingénieur Gerald G. Greulich en relation avec le service de l’US Army Corps of Engineers. Les tests complets jusqu’à la validation finale ont été menés à Langley Field au sein du NACA. La forme initiale était celle qu’on connaît aujourd’hui, mais la tôle d’acier était pleine. Elle avait l’inconvénient d’être assez glissante, et après divers essais de solutions inefficaces, la décision de percer des trous dans les surfaces plates permirent de régler en grande partie le souci. Mieux encore, ces trous se sont avérés extrêmement utiles. Ils facilitaient le drainage et permettaient de diminuer la masse de chaque élément de 17,5% ramenant le poids d’une plaque à 30 kilogrammes.
Une plaque PSP type M8 mesure exactement 3,04 mètres de long sur 0,38 mètre. Elle comporte 3 longueurs de 29 trous avec un canal d’écoulement entre elles. Les trous de 9,5 cm de diamètre sont évasés. Chaque plaque comporte 30 crochets en L pliés à 90 degrés de chaque côté et 30 fentes. Deux plaques sont encliquetées en glissant les crochets de l’une dans les fentes de l’autre puis en la glissant de 2 cm pour la verrouiller. Dans la longueur, les plaques sont maintenues entre elles par un crochet à ressort en forme de U facile à poser ou à déposer. L’épaisseur est de 5 millimètres et elles sont fabriquées en acier carbone à faible densité en carbone pour permettre une ductilité maximale et une grande résistance pour un coût de fabrication minimal.
Le procédé de fabrication en cinq étapes était le suivant.
La tôle d’acier carboné à 0,10% était pressée ou laminée pour former les deux nervures longitudinales.
Les fentes étaient percées et les crochets découpés au massicot.
Les trous étaient percés et évasés à la presse.
Les crochets étaient pliés à 90 degrés par rapport à la plaque à la presse.
Les plaques étaient nettoyées, dégraissées et peintes en Olive Drab 41.
Les plaques étaient conditionnées par lots de 30 empilées, représentant une épaisseur de 71 centimètres. Une piste standard de 1 524 mètres sur 45,7 m de large demandait 1 178 mètres cubes de PSP pour une masse de 1 986 tonnes. Ceci représentait une cargaison aisément transportable dans la soute principale d’un Liberty Ship d’une capacité de 1 700 mètres cubes.
Si initialement les PSP (aussi appelées Marston mat, tapis Marston, en raison de la construction de la première piste aux abords de la ville de Marston en Caroline du Nord, pour des exercices appelés Carolina Maneuvers en novembre 1941) ont été fabriquées par la Carnegie Illinois, plus d’une trentaine d’usines ont été mobilisées pour produire près de deux millions de tonnes de PSP pendant la Seconde Guerre mondiale. Quand les capacités de production industrielle américaines avaient produit des quantités suffisantes d’avions et que l’aluminium devenait plus disponible pour d’autres production, les PSP furent produites en aluminium, divisant leur masse par deux, et rendant envisageable des projections aéroportées de pistes. Mais la guerre était déjà gagnée et les pistes en aluminium (elles aussi peintes en Olive Drab) n’eurent aucune utilité… dans un premier temps.
L'Air Marshal Sir Arthur Cunningham sur un terrain allié en Italie en 1943, réalisé en PSP © IWM
UTILISATION ET RECYCLAGE
La construction d’une piste demandait un nivellement préalable au bulldozer suivi du passage de niveleuses et d’un rouleau compresseur, débarqué avec des camions en même temps que les PSP. Puis la pose des plaques était très simple, un simple marteau étant suffisant pour bloquer chaque plaque contre la précédente. Un seul homme suffisait à manipuler une plaque. Chaque rangée était placée en décalage de moitié par rapport à la précédente et le retour qui dépassait découpé pour raccorder le vide laissé au niveau du rang précédent. L’entretien de la surface constituée était simple puisque chaque plaque pouvait être changée seule après avoir enlevé les crochets en U qui la maintenait de part et d’autre, puis en la faisant glisser de 2 cm pour libérer les crochets latéraux. Une unité pouvait réaliser une piste d’aviation en 72 heures si le terrain avait été correctement et suffisamment préparé. Lors des manœuvres de Caroline, il fallut 11 jours y compris le déplacement de 50 000 mètres cubes de terre. Des chiffres qui impressionnèrent alors, mais furent couramment dépassés pendant la guerre.
L’une des principales faiblesses de l’utilisation de ce genre de pistes fut à ses débuts la poussière qui remontait du sol par les trous, un souci qui fut rapidement réglé par l’arrosage des pistes avant les décollages, qui, en raison des trous était finalement facilité puisque l’eau pénétrait aussi sous la bande de roulement qui en conservait l’humidité pour permettre des décollages pendant assez longtemps. Puis sur certains terrains, des tapis de végétation ou de foin étaient intercalés entre le sol et la piste. En Extrême-Orient ou en Corée, plusieurs photos prouvent l’utilisation de sacs de riz en toile de jute sous les PSP.
Construction d'une piste en PSP sur un tapis de sac de riz en Corée (CC NARA)
Nous avons probablement tous vu, à un moment ou un autre, des PSP rouillées ou repeintes détournées de leur usage original pour former des clôtures ou autres, en Normandie ou ailleurs en France. Que cela ne vous amène pas à penser que toutes ces PSP produites en 1939-45 ont été abandonnées sur le terrain après l’abandon des troupes. Les Américains ont produit des unités de recyclage mobiles destinées à démonter les pistes, traiter chimiquement les PSP, les nettoyer et les repeindre pour les remettre à neuf et leur permettre d’être réutilisées. Il y a d’ailleurs de nombreuses PSP produites en 1939-45 qui ont été réutilisées en Corée. Ces recyclages ont principalement eu lieu dans le Pacifique où près de 465 hectares de pistes ont été récupérées par ces unités de recyclage mobiles.
UTILISATEURS
Quasiment tous les Alliés des USA ont bénéficié des PSP et ont pu les utiliser à leur tour. Côté français, de nombreux terrains indochinois ont bénéficié de ces dispositifs. En Algérie, on connaît aussi plusieurs terrains qui en furent équipés. On trouve aussi des PSP chez les Anglais, les Australiens, les Russes qui en ont reçu dans le cadre de la loi prêt-bail. Il y en eut même chez des pays non-belligérants, puisqu’on peut trouver des pistes ou des infrastructures aériennes comportant des PSP dans des pays d’Amérique du Sud dans les années 50-60.
C-47 australien stationné sur le parking avions de l'aéroport de Tokyo en 1952. Les PSP sont toujours utilisées. (CC)
MAQUETTISME
La connaissance plus précise des terrains en PSP permet de tordre le coup à une croyance couramment répandue faisant imaginer à tous (et même à certains rares musée qui en exposent, comme le musée du débarquement d’Utah Beach qui a posé son B-26 sur des PSP imitant la rouille) que ces PSP étaient très vite rouillées. Ce n’est pas le cas, les PSP étant protégées de la rouille par leur peinture. Elle mettaient des années à rouiller ou dans certains cas exceptionnels des mois, pour celles qui étaient en acier. Quant à celles en aluminium, produites en 1945 et après, elles ne rouillaient simplement pas. Leur utilisation étant pour des infrastructures temporaires, la représentation de la rouille doit donc être inexistante voire juste exceptionnelle pour les PSP acier.
Leur conception, en revanche, laissait une grande part à l’intégration de leur environnement, le sol remontant par les trous jusqu’à souvent remplir les gouttières et souillant les parties planes de poussière. Ainsi leur utilisation fréquente sur des terres rouges (terra rossa d’Italie, de France, latérite de Corée ou du Vietnam) a très probablement induit en erreur de nombreux interprétateurs des photographies en couleur qui circulent.
Cette vue du chargement de bombes sur un F-84 de l'USAF en Corée montre des PSP à l'aspect trompeur. En les regardant plus en détail, on voit que cette couleur rougeâtre est plus due à la poussière, d'ailleurs bien présente sur les pneus de la grue. (CC USAF)
Pour la peinture de ces PSP, nous suggérons de peindre d’abord toute la base de la couleur de la terre (ou du sable) environnant en se conformant à ce qu’on trouvera en effectuant des recherches sur le lieu d’implantation de la piste. Ensuite, les PSP seront brossées à sec en Olive Drab et usées au graphite aléatoirement sur les arêtes. Enfin un empoussiérage (précédé selon l’inspiration du maquettiste d’un jus destiné à augmenter le contraste) général reprenant la teinte du sol viendra finir la mise en couleur de ces PSP. Selon le cas, de la boue ou des brins d’herbe venu pousser dans les trous pourra finir le travail.
Plusieurs fabricants et accessoiristes proposent des PSP, soit sous forme de plaques en photodécoupe ou de sols recouverts. Eduard ou Italeri proposent des bases de PSP en plastique injecté au 1/72, Eduard propose aussi le même produit au 1/48. De nombreux accessoiristes proposent aussi des PSP en photodécoupe à l’unité et certaines sections de pistes ou de parkings commencent aussi à arriver en découpe laser.
EN CONCLUSION
Il a été pour nous très agréable de mener ces recherches pour faire plus ample connaissance avec ces PSP, et partager le fruit de ces recherches avec vous. D’autant que les PSP sont une arme incontournable de la victoire alliée sur les forces de l’axe en 1945, au même titre que l’ont été la Jeep, les Liberty Ships ou les Mustang, et quelques autres. Pas plus les Allemands que les Japonais n’ont disposé d’une arme comparable, qui mérite de figurer dans toute collection sur la Seconde Guerre mondiale, au gré d’un diorama d’aviation ou de bataille terrestre puisque les PSP ont tout autant servi à construire ou réparer des routes.
Cet article mis ici gracieusement à votre disposition vous permet de connaître comment le magazine Cocardes, dans ses versions tant papier que digitale traite ses sujets. Le catalogue des publications est en ligne par ce lien.
RVB
Remerciements :
Rodolphe Gire, Patrick Auquinet
Sources :
Internet :
https://www-smithsonianmag-com/air-space-magazine/these-portable-runways-helped-win-war-pacific-180951234/
https://www.airandspaceforces.com/article/0489marston/
https://samenews.org/the-history-of-airfield-matting-design/
https://en.wikipedia.org/wiki/Marston_Mat
https://www.absa3945.com/Pertes Bretagne/Cotes Armor/Plouflagran/ploufragan.htm
https://www.normandie-tourisme.fr/sites-lieux-de-visites/musee-du-debarquement-de-utah-beach/
Archives & documents :
The Dixie, 31st US Army Division, Volume 1, novembre 1941
NASA, Langley Research Center, Aircraft Landing Facility
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